Stress hydrique, stress thermique : face aux vagues de chaleur et à la sécheresse, quelles mesures adopter pour améliorer la résistance de ses cultures ?
Mi-mai, une grande partie de l’Europe subissait une vague de chaleur intense et précoce, venue renforcer une sécheresse déjà bien installée du fait d’un hiver et d’un printemps peu pluvieux. La sècheresse affectait déjà les ¾ des terres sur le territoire européen (Copernicus, avril 2022). Or mi-mai, les céréales d’hiver étaient en phase d’épiaison-floraison, des phases sensibles à la sécheresse et au stress thermique, et comptant pour beaucoup dans l’établissement du rendement de la culture. Les potentiels de rendements ont de fait été affectés de plus de 40% dans certaines régions en deux semaines (Euractiv, mai 2022 ).
La précocité extrême et l’intensité de la vague de chaleur de la mi-juin qui s’est abattue sur la France a accentué le stress pour la phase de remplissage des grains des céréales et le développement des cultures de printemps.
Ces extrêmes hydriques et thermiques stressent les cultures et impactent fortement leurs potentiels de rendements. Ajoutés aux épisodes climatiques violents de grêle, orages…, ils constituent une source de risques importants pour l’agriculture. Or ils sont de plus en plus réguliers et intenses, une tendance due au changement climatique (GIEC, 2022 ).
Réfléchir aux moyens d’augmenter la résilience de son système de cultures face à ces extrêmes de températures et de sécheresse devient un impératif pour pouvoir continuer à produire en quantité et en qualité la nourriture d’aujourd’hui et de demain.
Comment se définissent les stress hydriques et thermiques ?
• Les stress hydriques se caractérisent par une insuffisance en eau disponible pour la plante.
• Les stress thermiques se caractérisent par une température de l’air au-delà des conditions normales de température pour une croissance optimale de la plante.
• Le stress thermique induisant une augmentation de l’évapotranspiration des plantes, stress thermiques et hydriques sont fortement liés.
Comment augmenter la réserve hydrique de votre sol ?
Pour réduire l’aléa face au stress hydrique, il est tout d’abord essentiel de considérer la réserve hydrique du sol. Cette réserve représente l’eau que la plante peut puiser par ses racines.
L’augmentation de cette réserve hydrique est le premier facteur sur lequel jouer pour lutter contre les stress hydriques : augmenter la réserve hydrique du sol permet d’augmenter la quantité d’eau biodisponible pour la plante et de s’en servir pour satisfaire les besoins de la plante en cas d’absence de précipitations. L’eau peut également être stockée dans les nappes phréatiques du sol. Cette source représente une réserve à long terme. Une bonne capacité d’infiltration du sol est nécessaire pour recharger cette ressource en eau douce.
Pour mieux comprendre la réserve hydrique du sol :
La réserve hydrique d’un sol agricole dépend principalement de quatre paramètres : la texture du sol, la charge en cailloux du sol, l’enracinement de la culture et la quantité de matière organique du sol. Elle est généralement exprimée en millimètres par centimètres de sol, et un litre d’eau tombé par mètre carré équivaut à 1 millimètre d’eau dans le sol. La texture, la profondeur et la charge en cailloux sont des paramètres sur lesquels le champ d’action est réduit. Les deux paramètres sur lequel il sera possible d’agir sont la structure du sol et la quantité de matière organique. Créer une structure permettant à la plante d’élargir son horizon de prélèvements et au sol de remonter de l’eau par capillarité permettra au sol de satisfaire plus aisément les besoins en eau de la plante.
La gestion de l’eau dans un sol agricole se distingue entre deux propriétés :
• Une bonne capacité d’infiltration lors des évènements hydriques
• La capacité du sol à stocker l’eau dans ses différents horizons
• Il est nécessaire de considérer et maitriser ces deux facteurs pour pouvoir gérer les épisodes de stress induits par le changement climatique.
Zoom sur les tassements, facteurs limitants dans l’exploration du sol par les racines
Le premier paramètre à corriger pour améliorer l’enracinement d’une culture est de rectifier les tassements du sol qui réduisent en général le volume et la profondeur de sol explorable par les racines (Arvalis) et ainsi l’eau disponible pour la plante.
En profondeur, un tassement peut être créé par du travail du sol en conditions humides, par des charges de pressions élevées en surface supérieures à la capacité du sol à résister à celles-ci ou par exemple par la lixiviation de minéraux qui percolent et s’agrègent ensemble au cours des années pour former une semelle imperméable à l’eau et aux racines. Les tassements profonds sont invisibles mais affectent grandement la réserve hydrique du sol pour la plante (Pioneer).
Les tassements superficiels peuvent limiter l’exploration à court terme des racines mais sont généralement contournés. Ils affectent cependant les premiers stades des plantes ainsi que l’infiltration de l’eau lors des pluies. La capacité d’infiltration est d’autant plus importante qu’en cas de sécheresse, les pluies sont rares mais intenses lorsqu’elles apparaissent. L’écrasement des gouttes de pluie sur le sol fait exploser les agrégats à la surface du sol, créant alors une croute de battance. Ce tassement très superficiel crée une couche imperméable en surface ne permettant pas au sol d’absorber l’eau. Celle-ci ruisselle en surface en emportant les argiles et terres fines. Favoriser une porosité de surface permettant de garder les éléments structurants que sont les argiles est essentielle pour lutter contre l’érosion éolienne des éléments, leur lessivage par l’eau ainsi que pour favoriser l’infiltration de l’eau.
Selon que le tassement soit profond ou superficiel, différents types d’outils mécaniques pour restructurer le sol peuvent être conseillés (sous-solage, cultivateur, décompacteur à dents, outils superficiels …) (Reussir, agriculteur normand).
Figure 1 : A chaque type de tassement, un type d’intervention pour améliorer la structure du sol.
Figure 2 : Trois types de profondeurs de compaction et leurs causes agrireseau- les compactions des sols : les causes et les solutions
Une stimulation de l’activité biologique, initiée par une réduction du travail du sol et l’intégration simultanée de cultures de couverture dans la rotation, favorisera une agrégation stable et augmentera la porosité.
Utiliser les cultures comme réseaux d’infiltrations d’eau
Dans le sol, les cultures créent un réseau de racines : autant de canaux d’infiltrations et d’exploration du sol depuis la surface jusqu’en profondeur. Pour résister à la sècheresse, il est ainsi nécessaire que la capacité d’enracinement de la culture en place soit maximisée. L’exemple de la luzerne est particulièrement parlant : les racines de la luzerne ont une capacité d’enracinement en profondeur impressionnante (plus de 7m dans certains cas). Cela lui permet de rester productive même en pleine sécheresse (45 à 50% de la production en été) (plantesfourrageres.org).
Associer ou faire suivre des cultures avec des types de racines différentes permet de créer de la porosité favorable au stockage d’eau, ainsi que des canaux d’infiltrations favorables à la recharge en eau des nappes souterraines.
On peut également favoriser l’enracinement des cultures en début de cycle en évitant une sur fertilisation en sortie d’hiver ce qui force la plante à puiser en profondeur et établir des racines profondes. Si la biomasse est élevée ou la ressource en azote relativement élevée en sortie d’hiver, il peut être ainsi intéressant de stresser la plante en azote pour limiter la biomasse aérienne et développer la biomasse racinaire avant de pourvoir les besoins en azote à des stades plus développées de la croissance végétative (Wang et al, 2018).
Utiliser les éléments du paysage pour structurer le sol en profondeur
La réflexion autour de l’enracinement amène à réfléchir aux éléments du paysage agricole permettant d’accroitre la capacité à puiser l’eau et à la restituer à la plante.
Par fondement, l’implantation de végétaux créant une strate arbustive ou arborée permet d’augmenter les horizons de prélèvements de l’eau : plus un végétal est haut, plus ses racines vont en profondeur. Une végétation haute permet également de créer un environnement frais permettant de résister aux vagues de chaleurs. Les arbres créent un effet d’ombrage ainsi qu’un effet de coupe-vent utile lors des vents séchants. Toutefois, les arbres, en particulier les premières années de développement exercent une forte compétition sur l’eau et les nutriments du sol vis-à-vis de la culture d’intérêt. Cette compétition défavorable à la culture d’intérêt peut cependant favoriser l’enracinement profond des arbres en bordures de champ ou en champ (agroforesterie) permettant de capter l’eau inaccessible aux racines des cultures. L’implantation d’arbres semble être un compromis entre pertes de rendements et gains de résilience face aux stress hydriques et thermiques à long terme. (agriculture-nouvelle.fr), (web-agri.fr)
Et du côté recherche, quelles sont les actualités ?
En plus du complexe argilo humique du sol, d’autres éléments présents en faible quantité dans le sol sont connus pour leur capacité de rétention en eau. Le silicium amorphe fabriquée naturellement par les diatomées ; des algues marines avec une paroi siliceuse ; ou artificiellement en laboratoire est une des pistes explorées pour accroitre la réserve en eau d’un sol. Sous forme amorphe, le silicium forme des gels de silice avec une capacité de rétention en eau à saturation supérieure à 700%. Apporter du silicium amorphe permet d’augmenter la capacité de rétention en eau du sol et ainsi la quantité d’eau disponible pour la plante (Shaller et al, 2020).
Quel est l’effet de la matière organique sur la réserve hydrique ?
La matière organique se stabilise dans le sol sous forme d’humus qui s’associe à de l’argile minéralogique dans le sol pour former des agrégats plus ou moins poreux, permettant d’aérer le sol. Alors que les pores de grandes tailles (macroporosité) permettent à l’eau de s’infiltrer, les pores de plus petites tailles (microporosité) permettent de stocker des éléments minéraux et l’eau du sol. La matière organique du sol par cette structuration permet d’augmenter la réserve hydrique du sol.
Figure 3 : La matière organique structure le sol pour infiltrer l’eau via les macroporosités et la stocker via les microporosités.
Toutefois, des études et mesures terrains ont montré que l’augmentation de la réserve hydrique par l’augmentation de matière organique dans le sol reste limitée à quelques mm d’eau. Une méta analyse sur plus de 50 000 mesures dans le monde a conclu qu’une augmentation de 1% de la matière organique dans le sol permet d’accroitre la capacité de stockage en eau du sol d’en moyenne 0.12mm/ cm de sol sur les 30 premiers cm, ce qui équivaut à 3.6 mm sur 30 cm de sol (A. Cates, 2020).
Figure 4 : Augmentation de la capacité de stockage en eau par l’augmentation du % de matière organique.
Résultats d’une méta-analyse à partir de 60 études publiées et analysé de grandes bases de données (plus de 50 000 mesures dans le monde) pour rechercher des relations entre le carbone organique (CO) et la teneur en eau à saturation, la capacité au champ, le point de flétrissement et la capacité en eau disponible.
*capacité initiale moyenne en eau disponible selon la texture du sol à partir des données du NRCS
**Augmentation moyenne de la capacité de stockage du sol en eau pour une augmentation de 1% de la matière organique pour les sols grossiers, moyens et fins, basée sur B. Minasny et A. B. McBratney, 2017, converti à partir de l’augmentation du carbone organique de 1 % en utilisant le facteur de van Bemmelen (OM % = C % / 1,724)
En conclusion, l’augmentation d’1 % du taux de matière organique dans le sol est possible en quelques années et permet d’améliorer de nombreuses et importantes propriétés du sol mais son effet reste limité sur l’augmentation de la capacité de stockage de l’eau.
Vous l’aurez compris, pour améliorer la réserve hydrique du sol, vous devez travailler essentiellement sa structure.
En bref, que faire pour augmenter la réserve hydrique de votre sol ?
• Eviter les tassements et compaction pour profiter au maximum la réserve en eau du sol et valoriser les apports pluviaux
• Permettre un enracinement profond grâce à une structuration du sol et grâce à un plan de fertilisation raisonné aux besoins de la plante
• Considérer l’implantation d’arbres pour permettre d’ouvrir de nouveaux horizons d’eau et agir sur des facteurs thermiques (vents secs, ombrages)
Dans ce contexte de sècheresse et de canicule, nous sommes à vos côtés pour trouver des moyens de réduire les pertes dans vos exploitations. En complément à la réflexion sur l’augmentation de la quantité d’eau disponible pour les plantes, nous vous présenterons dans le prochain article comment réduire les pertes hydriques au champ.